SUITE ET FIN:
L’élevage des moutons est pratiqué depuis des siècles et la tradition place les produits laitiers (pour le Roquefort), les textiles, le cuir et la viande au cœur de l’économie. Progressivement abandonnés à la suite des deux guerres qui ont saigné les campagnes françaises, des milliers d'hectares sont disponibles sur le Larzac, sans nécessité de remembrement. Ces terres attirent de jeunes agriculteurs et dans les années 60, le Larzac entre dans une période de revitalisation. Le plateau est déclaré "zone d'accueil". A partir de 1960, l'électricité arrive dans les fermes isolées du nord du plateau et les routes communales commencent à être goudronnées. A partir de 1960, de nouveaux agriculteurs arrivent ainsi sur le Larzac, se regroupant en GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun) et créant de grosses exploitations. C'est à cette même époque que l'industrie fromagère de Roquefort incite à la productivité et à la sélection des troupeaux de brebis. Dans le même temps, des artisans d'art s'installent sur le plateau. Mais, l'ensemble des équipements ne suit pas : de 1952 à 1982, il n'y a ainsi que deux postes téléphoniques publics.
A l’origine, le camp militaire servait principalement aux manœuvres de l’infanterie. Dans les années 50, les chars et l’artillerie y apparurent et, durant la guerre d’Algérie, y fut même installé un camp d’internement pour 14 000 «suspects» algériens du FLN. Aujourd’hui, basé sur la commune de La Cavalerie, il sert de garnison au 122ème régiment d’infanterie de ligne, unité de support au centre d’entraînement et d’instruction au tir opérationnel. S’y effectuent les tirs d’infanterie et de mortier ainsi que les vols de drones.
« Tous au Larzac » documentaire de Christian Rouaud en 2011 « Vous vous rendez compte, on a vécu dix ans dans l’illégalité et on se retrouve à monter les marches du Palais des festivals, à Cannes..." dit Michèle Vincent. Libraire à Paris dans les années 70, bibliothécaire à Millau après 1981, Michèle, Millavoise de souche, habite aujourd’hui sur le Causse, dans la maison où se passaient les réunions des comités. dans l’ancienne école de Saint-Martin du Larzac, tout près du presbytère et de l’église de ce hameau. A quelques mètres de là , dans un minuscule cimetière, sont enterrés Guy Tarlier, Augustin Guiraud et quelques autres frères de lutte.
Marizette et Guy Tarlier, qui fut le leader des Comités Larzac, étaient arrivés bien avant la lutte, venant de la Centrafrique. Lorsque Marizette et Guy débarquent, les locaux les regardent avec une vague méfiance. «Ils venaient d’Afrique, explique Léon, ça semblait un peu extraordinaire. Mais on les regardait faire, ils défrichaient tout ça. Plus tard, Guy a inventé une machine à traire, le rotolactor, ils étaient très actifs.» Mais il n'était pas orateur du tout. Il ne se mettait pas en avant, il avait compris qu'il fallait que ce soit des gens avec l'accent du pays qui prennent la parole. Guy Tarlier est mort en 1997 et Marizette tient toujours le flambeau.
Léon Maillet, un des piliers de la Confédération paysanne : " Au départ, moi, je défendais mon droit de propriété contre le camp militaire ».... Le journal, il l'a longtemps animé avec Noboé et Daniel, un couple d'apiculteurs et artisans de terre cuite vernie, qui ont reconstruit une maison dynamitée par l'armée à deux kilomètres de chez lui. Eux, se sont installés en 1974. Elle débarquait du Chili, rescapée du coup d'État de Pinochet, après s'être évadée des chambres de tortures des militaires brésiliens. L’aventure du Larzac a métamorphosé Léon. En particulier parce qu’il a été le documentariste et photographe des événements, puis il est devenu rédacteur régulier et acerbe du journal Gardarem Lo Larzac, qui existe toujours. Désormais, il voudrait bien ralentir sa production, mais tout le monde l’engueule quand il n’y a pas sa chronique. C’est dans le petit hameau de St Martin du Larzac, A 7 km de Millau et 800 mètres d'altitude, que le journal Gardarem lo Larzac est fabriqué de manière bénévole. À la fin de la lutte en 1981, le journal poursuit sa route en devenant bimestriel. Le démontage du Mc Donalds en 1999 et le rassemblement altermondialiste de 2003 ont permis au journal d’augmenter son nombre d’abonnés.
Les hameaux
Saint Martin du Larzac, l’église charmante avec de beaux vitraux modernes est entourée de son cimetière et du hameau (dont une magnifique ferme). Le hameau était au centre des convoitises militaires.
Le premier coup d’œil est pour une « jasse »( élément typique de l’architecture caussenarde, une bergerie en occitan) très caractéristique par sa forme voûtée qui donne aux plus spacieuses, un air d’église romane. Juste à côté, l’habitation à laquelle on accède par le classique escalier extérieur et un perron; à l’extrémité du corps de ferme, en angle arrondi, un vaste four à pain qui devait servir à plusieurs fermes. Les toits sont recouverts de lauzes.
Douze personnes réparties dans cinq foyers, vivent encore à plein temps dans le hameau. Un petit tableau d’informations indique que l’une d’elles s’adonne à l’exploitation des orchidées dont on recense sur le causse environ soixante espèces. On s’engage entre deux maisons, dans une étroite « buissière », véritable tunnel de buis (il en existe de remarquables au village tout proche de Potensac) puis on pousse la porte de la superbe chapelle du seizième siècle. Pas d’électricité … on se retrouve dans la pénombre, la lumière extérieure n’étant guère généreuse. Deux vitraux classiques dont l’un représentant Saint Martin, ont été restaurés en 1996 tandis que les autres sont des créations contemporaines réalisées par Claude Baillon.. Elles éclairent, notamment, les minuscules absidioles latérales dont les entrées sont gardées par deux sculptures, posées à même le sol.Une curieuse vierge à l’enfant stylisée, tapisserie d’Anne-Marie Letort artiste résidant au village de Sauclières, en Aveyron, masque le chœur. Cette petite église abrite fréquemment des animations culturelles. Le petit cimetière est attenant. Quelques tombes moussues surmontées de croix templières.
Sur un pilier de la grille d’entrée, veille une curieuse urne brune en forme de manteau templier, ciselée d’une spirale, symbole druidique repris par les templiers.En 1973, fut envisagée la réouverture de l’école de Saint-Martin ( à cette époque les enfants allaient à l’école à Millau) mais les pouvoirs publics opposèrent un refus catégorique en raison du mauvais état des locaux … En fait, c’est que Saint-Martin se trouvait sur un terrain à exproprier. L’école du Larzac est plantée, isolée à quelques kilomètres de là , sur le rebord du causse, au milieu des chênes.
Les Baumes
De Saint-Martin, un chemin bordé de buis typique du Larzac, forme une galerie pour nous mener vers ce lieu-dit où se trouve un abri troglodytique. La construction de l'abri troglodytique se situe entre le XIV et le XVI siècle. Le « Mas de la Balma » est attesté dès 1488 et les propriétaires connus dès le XVIe siècle.Pour préserver l'espace agricole, les premiers habitats sont collés contre les blocs de calcaire.
La façade est constituée de deux tourelles semi-circulaires qui encadrent un mur de moellons en pierre de taille. Ce qui frappe lorsqu'on aperçoit l'abri, c'est l'harmonie dégagée entre le bâti et les courbes naturelles du rocher.
On peut observer les différentes fenêtres qui déjà nous laissent supposer qu'il y a plusieurs niveaux. La tourelle sud (celle qui est le plus à droite) est dotée de latrines. La fenêtre à meneaux qui se trouve à l'étage noble, semble bien correspondre à la période de construction de la façade. La série de dalles en calcaire visible sur la partie haute de la façade ressemble à un larmier ( moulure présentant une rainure pour les eaux de pluie).
L'eau est évacuée et ne ruisselle pas contre la façade, évitant ainsi les infiltrations et la dégradation prématurée de l'enduit. On peut observer à l'intérieur trois niveaux. Le premier avec le sol irrégulier directement sur la roche, pouvait servir d'abri pour les bêtes, le second est l'étage noble bien éclairé par la grande fenêtre, on y accède par un escalier de bois. Enfin, au dernier niveau, se trouve le grenier pour les récoltes. Pour assurer une protection de dernier recours, lors des guerres de religion (dès 1561 à Millau), la porte d'entrée est défendue par des meurtrières et les deux tourelles assurent la défense de part et d'autre de l'abri. L'absence de trace de cheminée ou de niche pourtant fréquente dans ce type d'habitat est surprenante.La Communauté de Communes, dans le cadre de sa politique de développement touristique, a engagé des travaux de réhabilitation.
La Blaquière, petit hameau posé sur le plateau, avec ses maisons de pierre, le puits, la chapelle (dans laquelle l’histoire de la lutte du Larzac est rappelée), la bergerie avec ses pierres gravées. Auguste Guiraud, est à l’origine de la plus emblématique histoire du Larzac : l’agriculteur n’avait pas obtenu le permis de construire pour sa bergerie, sur le périmètre de l’extension programmée du camp militaire. Qu’à cela ne tienne, les Larzaciens la construiraient hors-la-loi, en pierre. L’été 1973, sa fille Maryvonne, 15 ans, a vu débarquer, dans le hameau de la Blaquière, plusieurs milliers de personnes pour la pose de la première pierre de la bergerie, devenue "symbole de la lutte, cathédrale du Larzac".Tout l’été, 200 personnes se sont succédé chaque jour sur le chantier. On rencontrait des gens de la France entière, des enseignants, des étudiants qui avaient fait Mai 68, des gens du monde entier. C’était incroyable cette solidarité." La bergerie aurait pu être plastiquée. Les auteurs de l’attentat ont préféré la maison d’habitation, à 300 mètres. "Il fallait qu’il y ait des morts pour faire peur aux gens, pour qu’ils s’en aillent, mais il n’y en eu pas."Auguste Guiraud est mort il y a 22 ans. L’un de ses fils a pris le relais de l’exploitation. "Il vit à la Blaquière, dit Maryvonne. La maison est toujours vivante. Ils ont été actifs." Défilent alors dans sa tête les voix qui vocifèrent dans les micros, les mains qui soulèvent les pierres pour édifier la bergerie, le Kanak Jean-Marie Tjibaou venu de Calédonie, accueilli à la Blaquière.
Il faut rendre hommage à ces hommes et femmes qui, il y a 45 ans, ont défendu bec et ongles leur droit de vivre et travailler sur leurs terres en refusant d'être expulsés et surtout prouvé qu'une agriculture raisonnée pouvait faire vivre des familles.
Les pierres de la « Cathédrale du Larzac » ou « bergerie de la révolte »
L’entonnoir de Debré Tout le monde sur le Larzac connaît le dessin de Wolinski, publié dans Charlie Hebdo au moment de la lutte. Il avait coiffé Michel Debré, ministre à l’origine du projet d’extension d’un entonnoir, pour sous-entendre qu’il était fou. L’entonnoir de Wolinski a trouvé sa place dans la pierre.
Encore des interrogations Une faucille et un marteau. Nul doute que cette pierre vient du Parti communiste. Mais Michel Terral n’a pas encore réussi à trouver les circonstances de son installation. Il lui reste encore à découvrir l’histoire de nombreuses inscriptions. Il est donc à l’écoute de toute personne ayant des informations sur le sujet.
La Bretagne très présente La légende raconte que peu importe l’endroit du monde où l’on est, il y a toujours un Breton. Pas de raison que le Larzac échappe à cette règle. Il y a au moins quatre inscriptions faisant référence à cette Région de France, qui, à la fin de la lutte du Larzac, s’est soulevée contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff (Finistère).
L’œuvre de la censure On ne pouvait pas écrire n’importe quoi sur les pierres de la bergerie. À plusieurs endroits, certaines ont été piquées pour cacher notamment, les noms de marques. Ce fut notamment le cas pour une pierre amenée par les salariés du Crédit agricole de Millau. Leur employeur ayant refusé de prêter de l’agent aux 103, le nom de la banque a été effacé. Seule l’inscription “Millau†demeure.
Noé, enfant de la bergerie C’est une des premières pierres qui a été gravée, à l’été 1973. Noé est le nom du fils de Laurent Peyre, un objecteur de conscience qui fut le premier responsable du chantier de la bergerie. Sa mère, Cafi, était également bénévole. Noé a aujourd’hui 44 ans. Son père est revenu il y a quelques années sur le Larzac, pour un enterrement.
Solidarité des luttes Les paysans du Larzac ont reçu beaucoup de soutien et mais en ont rendu autant. se mobilisant pour des causes qui leur tenaient à cœur comme défendre les ouvriers de l’usine Lip, à Besançon, en grève pendant 6 mois de 1970 et en 1973, vu leur usine occupée par les gendarmes. Cet été 1973, les représentants syndicaux de l’entreprise sont venus graver et poser leur pierre.
12 juin 1974 : Une délégation du journal satirique Le Canard Enchaîné inaugure sa parcelle ( 70 ares ) de GFA (Groupement Foncier Agricole ) et sa "mare aux canards".
Potensac : Le domaine de Potensac est mentionné dans les documents d'archives depuis le début du 13e siècle. Il relève alors du prieuré bénédictin de Millau qui l'afferme dès le début du 13e siècle et qui donne notamment la faculté d'y faire paître le bétail du fermier du domaine des Fons, situé non loin, sur les pentes du Larzac. Au début du 14e siècle on y produit dès blés et du vin. Au début de ce siècle, un procès oppose les consuls de Millau au prieur de Notre-Dame au sujet de sa possession. Au 17e siècle, on y extrait du charbon pour le four à chaux construit dans le quartier des Carmes à Millau, activité qui semble se prolonger au-delà de cette date, des mines de lignites étant exploitées non loin du hameau. Vers 1965, sa chapelle est élevée par les petits frères des pauvres, légèrement à l'écart, au nord du hameau, en bordure des falaises.
Richard Maillé, 36 ans, fils de Léon, un des rares «purs porcs» encore impliqué y est éleveur de brebis, militant associatif, objecteur de conscience, déserteur en 1987. Un des quelques Larzaciens de deuxième génération toujours militants.
Léon Maillé, 59 ans, éleveur à la bergerie de Potensac. Né à Millau, actif dans toutes les luttes du plateau depuis 1971. Arrêté après le «démontage» du McDo de Millau.
Joseph Bové, dit José Bové, né en 1953 en Gironde, agriculteur et homme politique français , l'une des figures du mouvement altermondialiste. Syndicaliste agricole de la Confédération paysanne et de Via Campesina, il est connu pour ses prises de position contre les OGM et ses actions d'arrachage illégal de plantations OGM, qualifiées de désobéissance civile par ses défenseurs.
Il est actuellement vice-président de la commission Agriculture et développement rural au Parlement européen. En 1973, il participe au rassemblement national contre l'extension du camp militaire .Il s’installe en 1976 à Montredon (ce fut l'un des premiers néos sur le Larzac où il a pris peu à peu la succession de Guy Tarlier décédé en 1992 en tant que leader du groupe larzacien). Il décide de squatter une ferme à l'abandon depuis 1920, et de mettre en valeur les terres convoitées par l'armée.
Il élève des brebis mais ne lâche en rien son militantisme. Il fait partie des vingt-deux personnes qui investissent en 1978 le camp militaire et s'emparent de documents attestant la vente de terrains par divers paysans. Il est condamné à 4 mois de prison avec sursis et privation de ses droits civiques. En 1981, Bové est l'un des gérants de la société civile des Terres du Larzac.
Jusqu'à son élection comme député européen, il est demeuré éleveur au sein d'un GAEC (exploitation agricole) d'élevage de brebis pour la fabrication et la vente directe, de fromages au lait de brebis et de yaourts. Après 1999 et le «démontage» du McDo de Millau, opération qui lui a conféré une notoriété soudaine et spectaculaire. «Ici, on a toujours eu besoin de fous comme ça pour faire avancer les choses, dit le père Léon, qui, dans la bergerie de Potensac, trait les brebis tout en écrivant le discours qu'il doit prononcer samedi. Guy avait eu l'idée des manifs en tracteurs, José a eu l'idée du McDo.». Jusqu'en 1987, une vingtaine de familles s'installeront, « choisies plus en fonction de leurs projets que de leur passé militant», assure Bové. Le Larzac inverse sa courbe déclinante, sur un plateau qui compte 2000 habitants. Toutes les fermes sont occupées.
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